Au IXe congrès internationale sur les animaux sauvages et exotiques du 8 au 10 mars 2014, à l'Ecole Nationale Vétérinaire d'Alfort, Le DR F Vlaemynck déclarait :
IDÉES REÇUES CONCERNANT L’ÉCLAIRAGE DES REPTILES
Frédéric VLAEMYNCK
INTRODUCTIONDepuis le début de la médicalisation des reptiles, les lumières auxquelles ils sont exposés, sont apparues comme capitales.
D’un premier discours orientant surtout vers les particularités reptiliennes de la synthèse de vitamine D3 (donc de l’importance d’un spectre UVB) pour certaines espèces, à l’apparition de dispositifs d’éclairage et de mesures désormais très variés, de résultats d’élevage et de qualité sanitaire variables (pourtant sous des lampes parfois semblables), le praticien peut se sentir aujourd’hui égaré dans son appréhension des besoins lumineux d’un reptile.
Il est donc temps de faire table rase des idées reçues qui polluent l’esprit du praticien et l’empêche de concevoir une idée simple :
Un reptile s’est adapté à un environnement lumineux caractérisé par :
- un spectre électromagnétique (UVB, UVA, lumière visible par l’homme, IR)
- une évolution de celui-ci dans le temps,
- une possibilité d’interagir avec celui-ci dans un environnement adapté (microhabitat).
IDÉE REÇUE N°1 (SUR L’IMPORTANCE DE LA LUMIÈRE) : « Seul les UVB sont importants, et encore pas pour toutes les espèces. Et puisqu’un manque d’UVB déclenche une Maladie Osseuse Métabolique par manque de Vitamine D, on supplémente le reptile en vitamine D et il n’y a plus besoin de se préoccuper de la lumière. »
Toutes les composantes du spectre électromagnétique solaire perçu dans le microhabitat du reptile interviennent dans son métabolisme :
LE SPECTRE ULTRAVIOLET B (280-320 NM) Il a effectivement un rôle dans la synthèse endogène de la forme hormonale de la vitamine D (le calcitriol ou 1,25-dihydroxycholécalciférol) dans sa tranche de longueur d’onde des 290-315 nm. La vitamine D2 (ou ergocalciférol) contenue dans les végétaux ayant une part négligeable dans l’incorporation exogène de ce métabolisme et les invertébrés constituant une source faible de vitamine D3, les reptiles végétariens et/ou insectivores nécessitent obligatoirement une exposition à ce spectre pour assurer leur besoins en vitamine D. Et ce même s’il s’agit d’animaux crépusculaires. Ces besoins sont régulés de façon fine évitant toute intoxication et permettant aux animaux crépusculaires de tirer le meilleur parti d’exposition succincte à un environnement peu lumineux.
Le calcitriol ainsi formé a un rôle évidant sur l’homéostasie calcique et tout défaut dans sa synthèse aura des répercutions majeures sur le système musculo-squelettique. Mais plus que ce rôle de régulation calcique désormais bien connu, le spectre UVB a donc un rôle direct sur le système immunitaire des reptiles.
Des études récentes ont montrées que le calcitriol peut affecter des tissus et des cellules qui ne sont pas directement impliqués dans l’homéostasie calcique. Le calcitriol intervient en tant que régulateur de la différenciation et de la multiplication des cellules immunitaires (principalement lymphocytes et macrophages). Comme le rein, les macrophages activés sont capables de synthétiser le calcitriol produisant une concentration locale dans les foyers inflammatoires. Le calcitriol a un rôle similaire à celui d’autres molécules régulatrices du système immunitaire telles que les cytokines. La précision de l’interaction du calcitriol avec le réseau des cytokines n’est pas encore totalement définie, mais sa capacité à moduler les cellules immunitaires et la réponse inflammatoire lors de processus infectieux est maintenant bien documentée.
Les besoins en vitamine D3 ne sont pas constants et sont encore approchés avec incertitude chez les reptiles. Toute supplémentation vitamine du groupe D visant à éviter une exposition au spectre UVB risque d’entraîner un hypervitaminose D3 et/ou un déficit immunitaire.
LE SPECTRE VISIBLE REPTILIEN (320-700 NM)
[SPECTRE UVA (320-400NM) + SPECTRE VISIBLE PAR L’HOMME (400-700NM)]Les reptiles ont une vision tétrachromatique, s’étendant dans le spectre UVA. Ce spectre complet permet à certain reptile :
- la reconnaissance des individus et des dimorphismes sexuels
- la reconnaissance des insectes et des végétaux comme sources alimentaires possibles
- l’appréhension du milieu
- la recherche et la gestion comportementale des besoins en rayonnement ultraviolets et infrarouges par le développement d’un phototropisme (dans la nature le spectre lumineux étant continu, là où il y a de la lumière visible, il y a des UV et de la chaleur).
Ce spectre à donc une action sur :
- la fonction de reproduction
- le comportement
- l’alimentation
- le système immunitaire non spécifique (compréhension des dangers de l’environnement par leur intégration cognitive dans un schéma physiologique)
LE SPECTRE INFRAROUGES (700NM-1MM)Aux gammes de température connues à la surface de la terre, les infrarouges sont des rayonnements chauffants (ne chauffant pas l’air mais chauffant les surfaces) accompagnant tout transfert d’énergie.
Les reptiles étant des espèces poïkilothermes et ectothermes, le spectre infrarouge a une action sur :
- l’intégralité de leur métabolisme : croissance, reproduction, alimentation, système immunitaire ...
- la thermorégulation : recherche et gestion comportementale des besoins en rayonnements infrarouges : héliothermie (réchauffement par exposition au rayonnement solaire), thigmothermie (réchauffement par contact avec une surface chaude). De plus, les serpent disposent d’une vision s’étendant dans le domaine infrarouge et sont parfois dotés de fossettes thermiques amplifiant cette capacité.
IDÉE REÇUE N°2 (SUR LE CHOIX D’UNE LAMPE OU D’UN NÉON) : « Pour choisir un néon UVB adapté on choisit celui affichant le plus haut chiffre sur son emballage. Et si on veut être sûr on utilise un UV mètre et on choisi la lampe qui donne le chiffre le plus haut. »
Le chiffre affiché pour un tube fluorescent (ex. reptisun® 10.0 ou reptiglo® 12.0...) est une allégation commerciale non soumise à obligation par le fabricant. Au mieux il s’agit d’une approche (souvent surestimée) du pourcentage de l’énergie du spectre lumineux émis dans le domaine ultraviolet B. L’énergie d’un spectre électromagnétique se mesure en W par cm² pour une longueur d’onde considérée. Sur l’étiquette du tube, lorsqu’une courbe est présente (W par cm² en fonction des longueurs d’onde émises), le pourcentage d’ UV correspond à l’aire sous la courbe dans le domaine des UV par rapport à l’aire totale sous la courbe.
- Tout est histoire de proportion par rapport à l’énergie totale du spectre émis : plus les composantes du restant du spectre émis (UVA, lumière visible, déperdition thermique : IR) seront développées plus ce chiffre risque de chuter.
- La présence d’un spectre UVB ne juge pas de son efficacité pour la synthèse et la gestion du calcitriol. Seule l’étude de son spectre dans les gammes de longueurs d’onde appropriées le permet.
L’UV-mètre traditionnellement utilisé pour juger de l’utilité d’une lampe pour les reptiles est le Solarmeter® 6.2. Il permet simplement de juger de l’aptitude du dispositif lumineux a émettre un spectre adapté à la synthèse de la vitamine D et à sa gestion entre 280 et 320 nm à une certaine distance (µW/cm²).
Il ne s’agit pas d’un concours permettant de définir quelle lampe a la plus forte sortie énergétique dans cette tranche d’UVB. Cet équipement permet juste de savoir si un dispositif est potentiellement apte à permettre la synthèse de calcitriol et de suivre son spectre au court du temps. Il ne peut aider qu’à juger de la lampe et non de l’environnement lumineux complet auquel est soumis le reptile.
IDÉE REÇUE N°3 (SUR L’ENVIRONNEMENT LUMINEUX) : « On choisit un néon ou une lampe adapté, on le met à la bonne distance, on l’allume 10-12 heures par jour, on pense a le changer régulièrement et il n’y a plus de problème. »
Un seul dispositif lumineux ne peut permettre de recréer un environnement lumineux adapté à un reptile. Afi n d’assurer ses besoins au mieux, il conviendra de constituer un environnement lumineux le plus proche de celui connu dans son microhabitat naturel :
- Création d’un gradient d’UV, de lumière visible et thermique continu.
- Création des nycthémères.
- Création des rythmes circannuels lumineux (variation des nycthémères au cours de l’année).
- Création des rythmes circadiens lumineux (variation lumineuse au sein d’un nycthémère).
Plusieurs types de dispositifs lumineux et des outils de contrôles et de gestion (programmateurs horaires, thermomètre sans contact, thermostat à variateur, UV mètre d’ambiance UV : Solarmeter® 6.5, luxmètre...) seront nécessaires.
Les ambiances lumineuses naturelles et leur utilisation par l’animal seront approchées par des études de terrains (observations des mœurs, éphémérides météorologiques, gammes d’UV d’exposition : zones de Ferguson...) au préalable.
CONCLUSIONPlus que de simples « pompes à chaleur », les reptiles se définissent comme de véritables « pompes à lumières ».
L’évolution a dotée un reptile de mœurs de vie, de textures et de coloris (et de ses capacités de variation) de peau particulières adaptés à un microhabitat lumineux spécifique pour que son métabolisme en tire le meilleur parti tout au long de l’année.
C’est seulement en tenant compte de ce principe que le praticien pourra conseiller la mise en place d’un environnement lumineux adapté et l’utilisation appropriée des dispositifs spécialisés présents sur le marché terrariophile.
La lumière constituant le principal modulateur du système immunitaire reptilien, c’est à cette condition que le vétérinaire pourra développer une médecine préventive et non une médecine d’urgence.
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